Selon certaines théories, avant de s’être ancrée au Brésil, la Capoeira tirait ses origines du continent africain. D’autres au contraire, affirment qu’elle proviendrait de la civilisation amérindienne. Qu’en est-il réellement ?
Julien Terrin : Sur le plan théorique, il est toujours compliqué de répondre de façon catégorique aux questions concernant l’origine d’une pratique culturelle. Le principal danger étant d’orienter le débat vers une spirale sans fin ; en d’autres termes de partir en quête d’une pureté culturelle fantasmée. De plus, cela impliquerait d’être capable de définir un début voire une fin à une chose qui n’en a pas : la culture. Si nous prenons le cas de la Capoeira, trois grandes théories peuvent être retenues concernant ses origines. Chacune de ces trois versions renvoie à un mythe fondateur différent qu’il faut néanmoins prendre en compte afin de mettre en évidence les importants métissages culturels qui ont eu lieu au cours de la construction de la nation brésilienne.
La première théorie prétend que la Capoeira provient d’Afrique centrale, qu’elle a été ramenée par les esclaves et qu’elle se serait développé ensuite au Brésil en conservant ses caractéristiques originelles. Les partisans de cette théorie, émise par les ethnologues et folkloristes du début du vingtième siècle, soutiennent que la Capoeira trouve son origine dans un certain nombre de rituels initiatiques, le plus directement identifié comme matrice de la Capoeira étant le Ngolo (la danse du zèbre) que l’on retrouve sur la côte sud de l’Angola. Les hommes en âge de se marier étaient amenés à lutter en utilisant leurs têtes, leurs mains et leurs jambes dans le but d’atteindre l’adversaire à la tête pour remporter la victoire.
Une autre théorie affirme que la Capoeira est une construction des esclaves marron. Cette lutte développée au sein des senzalas serait née du mélange culturel entre les différents peuples africains déportés au Brésil. En effet, les esclavagistes avaient pour habitude de séparer, d’éclater les éventuels noyaux de résistance en évitant les contacts entre membres d’une même ethnie. Une lutte serait née du mélange entre différents rituels d’origine africaine et aurait permis aux esclaves les plus téméraires de fuir leurs maîtres pour rejoindre les Quilombos, communautés d’esclaves libres souvent situées en marge du monde connu, c’est à dire dans les espaces vierges, à l’abri des regards entre le dix-huitième et le dix-neuvième siècle. Elle s’y serait alors développée en tant que véritable art de guerre mis au service de la lutte contre l’armée portugaise. Le quilombo de Palmares (1580-1694) aurait réunis plusieurs dizaines de milliers d’esclaves fugitifs, et leur leader le plus prestigieux, Zumbi dos Palmares, est considéré par nombre de capoeiristes comme le premier maître dans l’art de la Capoeira, sinon comme un de ses symboles incontournables.
Certains défendent l’idée quelle serait amérindienne, voire portugaise. Plusieurs explorateurs ou colons auraient témoigné de l’existence de luttes guerrières effectuées en cercle au son des tambours. Si les origines africaines de la Capoeira, directes comme lointaines, sont nettement plus convaincantes, l’influence amérindienne aura tout de même laissé un apport considérable à la Capoeira, en lui donnant son nom. Sur le plan étymologique, le terme « Capoeira » proviendrait du Tupi Guarani, ensemble linguistique le plus représenté sur le continent américain qui s’étend du Brésil au Paraguay.
Sources :
Julien Terrin, anthropologue, a écrit en 2011 un mémoire de recherche intitulé : Salvador de Bahia, la Mecque de la Capoeira. Cet extrait provient d’une interview conduite par Julien Bouisset lors de l’évènement à la Cité de la Musique «Capoeira : danse et combat », le 12 février 2012.
Vous pouvez la retrouver ici: http://www.mondomix.com/news/julien-terrin-aujourd-hui-la-capoeira-est-pratique-en-grande-majorite-dans-des-milieux-aises